Un prélat réformateur, Jean de Warneton, Evêque de Thérouanne (1099-1130)
Avec Lambert de Guines, évêque d'Arras (1093-1115) et Geoffroy, évêque d'Amiens (1104-1115), Jean de Warneton fait partie des prélats réformateurs du début du XIIe siècle qui n'aspirent, après la crise grégorienne, qu'à la restauration de la vie religieuse dans leurs diocèses et l'image de l'épiscopat. Né vers 1065, il a étudié auprès d'Yves de Chartres, célèbre canoniste. Chanoine séculier de la collégiale Saint-Pierre de Lille, il se retire rapidement à l'abbaye du Mont-Saint-Eloi, abbaye de chanoines réguliers proches d'Arras où la vie est austère. Vers 1096, Il en est tiré par Lambert, devenu évêque d'Arras pour en faire son archidiacre. En 1099, il devient l'évêque de Thérouanne où deux décennies de conflits entre Grégoriens et clergé traditionnel ont laissé des traces durables.
in Gauthier de Thérouanne, Vita Johannis episcopis, ed. O. Holder-Egger, MGH SS, tome XXV², chap 10, traduit du latin
"L'Eglise Notre-Dame de Thérouanne qu'il trouva, comme nous l'avons dit plus haut, misérablement ruinée à l'intérieur comme à l'extérieur, il entreprit, dès qu'il fut ordonné, d'en réparer en architecte avisé la double structure ; extérieurement, bâtissant en grande partie depuis les fondations, il acheva de manière louable un édifice fait de pierre et de bois, matériaux inertes ; mais à l'intérieur, c'est de pierres vives et de bois doués de raison qu'il restaura combien plus utilement. Le fait est que tous les clercs qu'il trouvait capables par leurs mœurs et leur savoir, et pourtant titulaires encore d'aucune église, c'est-à-dire n'ayant pas de bénéfices ecclésiastiques, il se démenait pour les réunir dans les camps du Seigneur (castra dominica) et faisait tout son possible pour leur payer sur les richesses de son église une solde (stipendium) convenable et suffisante.
De fait, nous le savons et nous en témoignons sincèrement, durant tout son pontificat il s'abstint de tout esprit de cupidité à ce point qu'il ne fit lever, ni à sa demande, ni sur son agrément, la plus petite taxe (exactio) sur les clercs ou les laïcs à lui soumis, et se refusa totalement, malgré les reproches de quelques-uns, à accepter les amendes auxquelles doivent être punis, selon les lois, les hommes qui les transgressent et les violent. De ce fait, la communauté des clercs s'avérait plus honorable et plus utile dans l'Eglise de Dieu, et nulle occasion n'était fournie aux malveillants de dénigrer un prêtre du Seigneur. Quant aux autres clercs du diocèse qui, depuis bien longtemps, suivaient les larges voies du siècle et les désirs de la chair, il travailla à les ramener par l'exemple comme la parole, à la règle (norma) de la vie droite. Certains d'entre eux qu'il trouva infecté par la peste simoniaque, il résolut de toutes ses forces de les combattre et de les exterminer.
De ce que je dis l'église d'Ypres est témoin, celle de Vormezeele aussi, arrachées aux mains d'usurpateurs convaincus de cette hérésie par jugement canonique ; et quand il les eut chassés de l'église qu'ils s'étaient procurés par simonie, il loua la vigne du Seigneur à d'autres agriculteurs. Après avoir libéré l'église d'Ypres et l'avoir tenue lui-même quelques temps, il en fit don à des frères réguliers [note : des chanoines réguliers], plaça à sa tête l'abbé dont nous avons parlé plus haut [note : Gérard, ancien chanoine de Cambrai, un proche de l'évêque Jean et le "maître" de l'auteur, Gautier] et en confirma la possession perpétuelle par privilège épiscopal [note : l'affaire d'Ypres connut un certain retentissement. Les clercs séculiers, installés dans l'église d'Ypres vers 1096-1099, en furent chassés en 1101, après intervention du pape, de l'évêque d'Arras, en présence du comte de Flandre et de l'archevêque de Reims]. Et pour l'église de Vormezeele, il la convertit tout entière à la vie régulière, si ce n'est qu'il remplaça l'ancien prévôt, installé ailleurs comme abbé de clercs réguliers, par Albodus [note : attesté de 1100 à 1123], à la piété bien éprouvée ; et par la suite, il accrut leur revenus grâce à sa largesse. Et voilà comment il y a dans l'une et l'autre église des clercs ayant fait profession de la règle de Saint-Augustin qui vivent aujourd'hui dans la régularité [nota : conformément à la mode] et qui perçoivent en commun le salaire dû à leur labeur ; et c'est grâce à son esprit de prévoyance ! Sans attendre, il créa en divers lieux sept autres monastères au moins, et dans chacun il installa des communautés de moines, ou de clercs se proposant de vivre selon la règle des apôtres. Quant aux autres [clercs], il les exhortait ou les forçait à s'appliquer adroitement, suivant le rang ecclésiastique, à diriger le peuple de Dieu, et à s'abandonner aussi à la pratique des vertus."